dimanche 22 novembre 2009

Droit à l'image collective des sportifs : 8 raisons de supporter sa suppression

Pauvre Rama Yade ! En soutenant dans un premier temps le maintien de la disposition règlementaire sur le DIC contre l'avis des parlementaires et surtout du chef du gouvernement[1], elle s'est attiré les foudres de la classe politique, à peine compensées par la reconnaissance des patrons des clubs pro et la sympathie populaire, l'individu étant toujours enclin à soutenir les faibles lorsqu'ils se rebellent contre les puissants. Mais en s'opposant ainsi, elle a surtout permis d'orienter l'attention générale sur la polémique née de sa prise de position, occultant par là même le fond de l'histoire : la remise en cause d'un avantage financier accordé aux sociétés de sport professionnels pratiqués en équipe, destiné à avantager ces sociétés sur un plan économique, afin de leur permettre d'être plus compétitives, et ceci financé par le budget du ministère des sports.

Ce billet a donc vocation à contribuer, bien modestement certes, à compenser cette absence de débat sur l'opportunité d'un tel "droit", et dans une moindre mesure sur les conditions de sa remise en cause. Au passage, je vais reconnaitre m'être un peu emballé en ayant reproché à ceux qui nous gouvernent de "ne (pas) prend pas la peine d'évaluer et d'analyser les résultats obtenus"[2] lorsqu'ils doivent prendre des décisions. Pour le coup, on peut saluer les efforts réalisés puisqu'un rapport d'information du Sénat[3] a été demandé à Michel Sergent, rapport annexé à la séance du 2 avril 2008. Je m'appuierai aussi sur le rapport annuel de la Cour des Comptes[4] qui, pour le moins, épingle le DIC. Elle constate en effet que "quatre ans après sa création le dispositif (...) n’a pas démontré son efficacité par rapport au but recherché : les meilleurs sportifs professionnels français continuent à partir à l’étranger (...). Cet objectif, surtout, ne s’inscrit pas de façon claire et cohérente dans le cadre de la politique mise en œuvre par l’Etat dans le domaine du sport : aucun des objectifs fixés par le programme « Sport » ne prévoit que, dans un contexte marqué par les très fortes contraintes budgétaires actuelles, les écarts de rémunérations entre sportifs professionnels français et étrangers ont vocation à être comblés par les finances publiques. Cette charge n’a donc pas à être financée par le budget de l’Etat, quel que soit le programme support. En outre, son coût n’est pas maîtrisé." Voilà qui est clair ! La recommandation de la Cour des Comptes est tout aussi limpide : "Dès lors, la Cour recommande la suppression de ce dispositif et la réaffectation des crédits ainsi libérés sur des actions plus directement en rapport avec les objectifs assignés par les pouvoirs publics au programme « Sport », tels que, en particulier, l’accroissement de la pratique sportive découlant d’une meilleure formation des jeunes."
J'ai aussi consulté avec beaucoup d'intérêt le mémoire de recherche d'Emmanuel Serrié[5] qui décortique la mise en œuvre du DIC. Le moins que l'on puisse dire, c'est donc que les arguments ne manquent pas pour contester l'opportunité du droit à l'image ainsi créé par la loi n°2004-1366 du 15 décembre 2004.

1. Le droit à l'image collective n'a rien de comparable avec les droits voisins des artistes interprêtes.
 Les inventeurs du droit à l'image (notamment JP Denis dans son rapport parlementaire[6]) ont voulu démontrer un parallèle entre la situation du sportif et celle de l'artiste, qui tous deux donnent un spectacle, l'un sportif et l'autre artistique. Outre le fait que le sportif ne peut se prévaloir de l'article L.212-2 du code de la propriété intellectuelle[7], il est clair que, comme l'affirme P. Moyersoen, "le droit à l’image collective du sport professionnel ne peut pas être confondu avec le droit des artistes-interprètes du spectacle sur la vente ou l’exploitation de l’enregistrement de leur interprétation.(…) Ce droit trouve donc son fondement dans une «création», là ou le droit à l’image collective ne renvoie qu’à une «image»"[8].
Le dispositif du DIC crée une rémunération qui n'a aucun lien avec l'exploitation ou la commercialisation de l'image collective de l'équipe, contrairement au principe des droits voisins des artistes-interprêtes. Cette appellation relève donc avant tout d'une "convention sémantique". 

2. Le droit à l'image collective n'a rien d'un "droit"
En rejetant implicitement toute référence à une quelconque "œuvre" sportive source de droits d'auteur ou d'interprète, en limitant la reconnaissance des droits sur l'image à la seule image collective du sportif, c'est-à-dire à celle issue de l'équipe sans en préciser la nature, et en ne reconnaissant aucun droit de caractère extra-patrimonial, le législateur a créé un droit extrêmement limité puisqu'il ne s'agit que d'un droit pécuniaire qui repose sur une simple exonération de charges sociales. Le dispositif instauré porte uniquement sur la qualification de la part de rémunération versée aux joueurs en fonction du niveau des recettes d’exploitation de l’image collective de l’équipe ; ainsi que sur l’exonération de cotisations sociales s’y rapportant. Il s'agit d'un droit à vocation économique qui vise à améliorer la compétitivité des clubs professionnels français.

3. Ce n'est pas le DIC qui permet aux clubs ne mieux rémunérer les joueurs mais l'augmentation de leurs recettes.
Tant la Cour des Comptes que le sénateur Sergent ont montré que le DIC n'a qu'un apport mineur dans le budget des clubs. Le DIC ne représenterait ainsi que 3% seulement du financement des clubs de football de ligue 1. La vrai raison de l'envolée des salaires est le doublement des droits télés payés par Canal+ depuis 1999, avec 653 millions d'euros par an pour les saisons 2004-2008. L'exonération des charges sociales ne devient alors qu'un effet d'aubaine fort couteux pour l'Etat alors même que l'incidence sur la compétitivité des clubs français a baissé depuis la création du DIC (voir point suivant).

4. Même à coût employeur identique, les clubs français ne peuvent rivaliser avec les autres clubs européens.
Le DIC a en effet permis de positionner le coût salarial des clubs français à un niveau comparable avec celui de ses concurrents. Pour une rémunération brute de 100.000 €, le revenu net d'impôt servi en France est de 55.700 €, soit un peu moins qu'au Royaume Unis, mais plus qu'en Espagne, Allemagne ou Italie, avec un coût employeur qui se situe à un niveau inférieur à celui de l'Italie, et de 5 à 20% au dessus de celui des 3 autres pays. Notons que le DIC n'est pas seul responsable de cette amélioration de la rémunération nette des sportifs. Dans le même temps, les mesures fiscales ont permis un allègement de l'imposition : baisse de la tranche marginale d'impôt la plus élevée (de 48,04% à 40%) et instauration du bouclier fiscal. C'est ce qui a permis à des salaires qui ont progressé de 40% en moyenne dans le football entre 2004 et 2006 de ne supporter une hausse d'impôt sur le revenu de 3 points seulement (32% du salaire contre 29% précédemment). Une autre étude, datée d'avril 2007, indique que le joueur le mieux rémunéré par un club français arrive à la 40e place par le niveau de salaire !
Lorsque l'on établit le classement des clubs européens en fonction de leur budget, on constate aussi que pour la saison 2006-2007, le clubs français le plus compétitif perd 2 places en une saison, au 13e rang, et surtout loin derrière les 5 poids lourds du foot (Réal de Madrid à 351 M€, Manchester United à 315 M€...). Les 2 clubs français, l'Olympique Lyonnais (140 M€) et l'Olympique de Marseille (99 M€) font figure de petits Poucet au milieu des clubs anglais, espagnols et italiens... 

5. Une mesure "d'injustice sociale"
La justification officielle de la baisse des charges sociales est de permettre aux clubs de servir des rémunérations plus attractives aux sportifs professionnels. C'est ce qui figure au projet annuel de performance (PAP) du ministère chargé des sports, programme 219 "Sport" de la mission "Sport, jeunesse et vie associative". Le dispositif comporte un double-effet Kiss Cool : il réduit le montant de la retenue salariale (et augmente le résultat net), et l'avantage qu'il procure au club lui permet d'augmenter le montant du salaire. Le mécanisme tel qu'il est conçu[10] est fait bénéficie aux sportifs professionnels dont les revenus sont les plus importants, et plus le revenu est élevé, plus l'avantage concédé est important (il n'y a pas de plafonnement). 32 M€ en 2008 pour moins de 1300[11] sportifs professionnels concernés alors que la moyenne de rémunération des footballeurs professionnels en L1 approche les 50.000 € par mois... N'y a-t-il pas là quelque chose d'insupportable ?

6. Un coût croissant et incontrôlable
La Cour des comptes pointes de graves dysfonctionnements : prévision budgétaires insincères, crédits inscrits insuffisants, reports de charges dans les comptes de l'ACCOS et accumulation de dettes, liberté prise avec la transparence bugétaire en inscrivant en 2007 la charge au programme 210 "Conduite et pilotage" au lieu du programme 219 "Sport... Il est vrai que le principe même du dispositif rend la mesure incontrôlable.
95 M€ en trois ans... 26 M€ encore pour 2009, soit 15,4% du programme 219. En excluant le DIC, les crédits disponibles sur ce programme sont ainsi passés de 209,7 M€ en 2007 à 175,9 M€ en 2008, soit une baisse de 16%. Pendant ce temps, la baisse des crédits pour le sport pour tous s'effondre un peu plus chaque année.

7. Une légitimité douteuse
On notera que parmi les motivations du législateur figurait le fait qu'avant la loi de 2004, un certain nombre de clubs payaient des honoraires à des sociétés-écrans afin de minimiser les rémunérations soumises à charges sociales. La loi a donc permis de créer un mécanisme qui exonère légalement certains revenus de charges sociales, supprimant l'intérêt de la fraude.
On notera enfin qu'une première tentative d'exonération de charges de ce type avait été avancée en 1997 par Guy Drut, alors Ministre des Sports, lequel avait fait adopter un article dans le code du travail qui visait au même effet que le DIC. Le Conseil d'Etat avait émis de vives réserves, indiquant que "Le Conseil d'Etat, après avoir constaté que l'effet et, d'ailleurs, l'objet même de cette disposition était en réalité d'exonérer la part en cause de toute cotisation sociale et de permettre l'allègement de la charge fiscale qui y correspond, a considéré que les justifications d'intérêt général avancées, en l'état, à l'appui d'un tel dispositif n'étaient pas suffisantes pour permettre d'accepter les ruptures d'égalité devant les charges publiques auxquelles sa mise en œuvre conduirait"[12] 

8. Une inefficacité évidente
Je n'aurais pas à m'étendre sur ce point. J'avais déjà largement argumenté dans mon précédent article, et l'amateur de football qui sommeille dans chacun de nous est assez avisé pour juger par lui même du résultat.

Si la mesure s'avère inefficace, insupportable sur le plan budgétaire et injuste socialement,on voit mal par quel miracle elle serait sauvée. Reporter sa suppression à la fin de la saison parait être plus sage néanmoins. Gageons que les clubs prendrons un malin plaisir à laisser partir les joueurs français en priorité, même si, chiffre à l'appui, on sait maintenant que ce n'est pas le DIC qui leurs permettrait de faire les offres nécessaires. D'autant qu'en ce qui concerne les transferts, il faut ajouter, au coût salarial prévisionnel, le montant des indemnités de rupture de contrats versés au club quitté qui, elles, ne sont pas soumis à charges sociales.

[1] je vous laisse deviner si je parle de François Fillon ou de Nicolas Sarkosy ;-)
[2] voir mon article du 6 novembredernier
[3] rapport n°255 fait au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur le droit à l'image collective des sportifs professionnels, par Michel Sergent, sénateur.
[4] extrait du rapport annuel de la Cour des Comptes publié le 4 février 2009 et accessible en ligne sur www.ccomptes.fr.
[5] "Limage des sportifs et la loi", année universitaire 2008-2009 - Université R. Schuman de Strasbourg.
[6] JP. Denis, Rapport sur certains aspects du sport professionnel en France, novembre 2003.
[7] "L’artiste-interprète ou exécutant est la personne qui représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière une oeuvre littéraire ou artistique, un numéro de variétés, de cirque ou de marionnettes" ; n'étant pas, de toute évidence, un artiste-interprête, le sportif ne peut donc prétendre à l'exonération de charges sociales qui bénéficie aux "droits" payés à l'artiste pour le différé de rémunération lié à une exploitation de son interprétation en dehors du contrat de travail.
[8] P. Moyersoen, "Le concept d’image collective", Droit & Patrimoine, n°139, juillet 2005
[9] Etude de l'observatoire de l'Union financière de France
[10] Il ne s'applique qu'aux salaires qui excèdent 2 fois le plafond de la sécurité sociale, passé à 4 fois en 2009, soit 11.000 € par mois environ
[11] Sur 1267 sportif concernés par le DIC en 2006, 639 sont des footballeurs, bénéficiant de 87,9% du budget
[12] CE, avis, 27 mars 1997

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