samedi 24 juillet 2010

Live Nation : de plus en plus loin, de plus en plus inquiétant...

Live Nation, puissante société de production de spectacles, s'est installée en France en 2006 grâce au rachat de la société de production de Jackie Lombard, puis en créant une filiale Live Nation Festival qui a racheté la majorité des parts du festival d'Arras. Ce rachat a fait grand bruit ces dernières semaines après l'éviction rocambolesque de France Leduc de la direction de ce festival qu'elle avait créé, qui quitte donc Live Nation après avoir négocié la vente des dernières parts dont elle était encore propriétaire[1].

L'ascension de Live Nation en France[2] ne fait pas que des satisfaits. Dans les rangs même des producteurs privés, nombreux sont ceux qui ont bien compris dans quelle stratégie hégémonique se trouve engagée cette multinationale. L'organisation du secteur du spectacle vivant tout entier est en train de se transformer, au détriment de la diversité des acteurs. Il y a quelques jours, on apprenait un nouveau rachat d'un producteur de spectacles par une multinationale du disque. La Fédurok et la FSJ, membres fondateurs du SMA[3],  "veulent  alerter  sur  les  dangers  que  font  peser  les  organisations capitalistes multinationales, par leurs ambitions et leurs pratiques, sur les équilibres économiques pluriels et les enjeux artistiques culturels et sociaux dans le domaine des musiques actuelles en France."

Les réactions se multiplient, chacun pouvant aisément imaginer vers quel type de société nous entraînent ces concentrations verticales, assorties de pratiques économiques tournées exclusivement vers le profit. Aussi, la société Live Nation réagit-elle, en allant débaucher les salariés de petites structures de production, en affichant une volonté de faire du développement d'artiste, et allant même jusqu'à s'inventer des collaborations avec des petites salles de spectacles.
C'est ce qu'à découvert l'un des adhérents du SMA, le Petit Faucheux en lisant un article consacré à Live Nation dans le dernier numéro du magasine "La Scène". Le préposé de cette société s'y réjouit en effet d'organiser "de gros concerts à Paris-Bercy, mais aussi au Petit Faucheux à Tours, qui compte 190 places". Il assure même que "c'est une première dans l'histoire de Live Nation France". En réalité, il n'en est rien. L'organisateur du concert au Petit Faucheux était une société locale intervenant en son nom propre et qui avait loué la salle pour y produire l'artiste de Jazz américain Andy Mc Kee, artiste épinglé Live Nation. On retrouve sur le site de Live Nation tous les artistes avec lesquels la société a été amenée à travailler (des centaines, voire des milliers - voir le lien A à Z) sans qu'on ne puisse connaître la nature et la permanence de leur relation contractuelle, de même que toute salle ayant accueilli un artiste figurant dans cette liste se rerouve ainsi "associée" à Live Nation, d'une manière ambiguë puisqu'il est annoncé sur la page de chaque salle ainsi référencée : "Obtenez des places de concert LeNomDeLaSalle, des dates de tournée et des infos pratiques sur les événements auprès de Live Nation".

Faut-il que Live Nation se sente à ce point coupable de quelque chose pour qu'elle ait ainsi besoin d'associer son nom à celui du Petit Faucheux, comme si cela  lui apportait un gage de déontologie ou d'éthique ? Comme si, en reconnaissant l'existence de ces salles, elle espérait contrebalancer ses pratiques de développement exclusivement basées sur des critères de rendement capitalistique et de rentabilité économique, par son soutien moral aux lieux de très petite taille, symboles d'un engagement social ou culturel auquel elle aimerait laisser penser qu'elle adhère...

Le SMA n'est pas dupe des réels objectifs de Live Nation en particulier, et de l'ensemble des structures qui cherchent à l'imiter, séduites par la réussite commerciale mondiale de cette société. Comme cela a pu se produire dans le secteur de l'agro-alimentaire, ce modèle ne nous parait pas porteur de valeurs de développement durable, ni de diversité culturelle, et il fait table rase de toute notion de projet culturel et de développement des territoires, comme les projets que portent les petits lieux auxquels elle fait référence, quand ça l'arrange. Par sa position hégémonique, par la concentration, pour un même artiste, de l'ensemble des ressources disponibles dans les mains d'un même groupe financier, par la maîtrise des canaux de production, de promotion, de distribution et de commercialisation de la musique et du spectacle jusqu'à l'acheteur final, les sociétés qui s'inscrivent dans ce schéma recherchent exclusivement la réalisation du profit maximum et justifient leurs agissements en invoquant que, si eux ne le font pas, d'autres le feront.

Le SMA veut croire à l'existence d'autres voies, plus respectueuses de l'individu, et dans lesquelles la culture n'est pas traitée comme une marchandise comme les autres. Avec les déréglementations imposées par l'Europe, avec les crises du disque et, plus largement, économique, qui servent à justifier toutes les formes d'action pour relancer l'économie, avec les politiques d'austérité et de désengagement de l'Etat qui mènent à l'affaiblissement des services publics et à la sacralisation des initiatives privées, nous sommes entrés dans une ère où l'espoir de voir d'autres modèles émerger semble de plus en plus ténus. C'est pourquoi le SMA a voulu réagir à l'adresse de Live Nation, pour lui signifier que ses tentatives pour faire croire à une vision de la culture basée sur la diversité (artistique, de pratiques et d'acteurs) est vaine et pour lui faire savoir que, plus que jamais, nous savons de quel côté se trouve l'intérêt du plus grand nombre, et où se trouvent ceux qui ne travaillent qu'à leur propre enrichissement personnel.


[1] Les épisodes du départ de France Leduc
Dans MusicInfo
Dans Nord Eclair
Dans La Voix du Nord
Sur le blog DailyNord
et l'épilogue (comme quoi tout s'achète, c'est juste une question de prix !)
[2] Pour en savoir plus sur Live Nation, consultez  le dossier très complet réalisé par Oxfam Magasins du monde

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