samedi 30 janvier 2010

Directive services : synthèse pour tenter d'y voir plus clair

S’il est un exercice périlleux, c’est bien de tenter de clarifier les enjeux de la transposition de la “directive service” et d’en identifier les effets pour les associations. Je vais pourtant m’y risquer.
La directive service dite Bolkenstein (l'ex commissaire européen qui l’a défendue) a été adoptée le 12 décembre 2006 après avoir fait couler beaucoup d’encre et médiatisé à outrance le fameux “plombier polonais”. Cette directive a pour objectif de créer un véritable marché intérieur des services en facilitant la mise en œuvre des libertés d’établissement et de libre prestation de services et en éliminant les obstacles. Des contraintes administratives et juridiques sont notamment visées parce qu’elles entravent le développement des activités de certains services à l’intérieur de l’Union (voir aussi les articles 42 et 49 du Traité de Lisbonne).
Chaque partenaire de l’Union avait obligation de transposer cette directive avant la fin de l’année 2009 afin d’assurer son application opérationnelle au 1er janvier 2010.

Or dans “service public” il y a service, et les collectivités locales qui gèrent ou financent de fait un certain nombre de ces services, et le secteur de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) s’inquiètent des répercussions de dispositions susceptibles de livrer aux seules règles du marché l’ensemble de ces services qui occupent 1,745 millions de salariés et concernent quelques 177 000 entreprises principalement associatives. C’est là qu’interviennent les notions de SIG, SSIG et autres SIEG. C’est là aussi qu’il faut distinguer d’une part les conséquences en matière de réglementation (donc les régimes d’autorisation ou d’agréments existants) des questions relatives aux financements publics qui font l’objet des directives reprises dans ce qui est appelé le paquet “Monti-Kroes” sur lequel je reviendrai prochainement.
Il faut maintenant constater que c’est le traité de Lisbonne, qui est entré en application cette année, qui a permis de vider la directive Bolkenstein de ce qu’elle contenait de plus libéral et qui inquiétait à juste titre les collectivités et acteurs de l’ESS. Grâce à l’article 14 du Traité et au protocole 26, il est affirmé une spécificité des services publics par rapport au droit de la concurrence et du marché intérieur. Ainsi, le Traité reconnaît explicitement “les valeurs communes de l’Union concernant les services d’intérêt économique général (SIEG)” ainsi que “le rôle essentiel et le large pouvoir discrétionnaire des autorités nationales, régionales et locales” en la matière.

La directive exclue également des SIEG les services régaliens de l’Etat comme la protection sociale obligatoire ou le maintien de l’ordre public, mais pas les services aux demandeurs d’emploi par exemple (mais on a bien vu malheureusement que le placement des demandeurs d’’emploi pouvait en réalité être une opération très lucrative pour des opérateurs privés).
Ce qui n’est pas tout à fait réglé, c’est que le Traité se contente d’inciter le Parlement européen et le Conseil afin qu’ils établissent les principes et qu’ils fixent les conditions qui permettent aux SIEG d’accomplir leurs missions “sans préjudice de la compétence qu’ont les Etats membres, dans le respect des Traités, de fournir, de faire exécuter et de financer ces services”. En clair, les Etats membres devraient pouvoir conserver le droit de fixer les règles d’exécution des services d’intérêt général (SIG) relevant des services d’intérêt économique général (SIEG). Mais sur le sujet, le Parlement et le Conseil n’ont visiblement pas fixé les limites au même niveau.

L’autre difficulté pointée, c’est la manière dont la France procède à la transposition et utilise (ou pas) les possibilités offertes par le Traité. Sur le fond, la directive impose que chaque Etat passe en revue les régimes d’autorisation et toutes les dispositions ou exigences qui affectent l’accès à une activité de service ou a son exercice. Elle oblige aussi les États à modifier ou supprimer ces régimes dès lors qu’ils ne seraient pas conformes aux dispositions de la directive ou du Traité (libre concurrence).
Or la directive ouvre deux possibilités de dérogation : l’une consiste à exclure de son champ d’application un certain nombre de services, et donc de maintenir les régimes d’autorisation concernés, l’autre est de maintenir des exigences particulières pour des services relevant du champ de la directive. Pour ce faire, certaines conditions doivent être respectées. Par exemple, si une activité est exclue du champ, les prestataires concernés doivent être mandatés par les pouvoirs publics. Si l’activité reste dans le champ, il est possible de maintenir un régime d’autorisation et des obligations contraignantes uniquement si elles sont imposées par des raisons impérieuses d’intérêt général, d’ordre public, de santé publique.

C’est donc l’Etat français qui, aujourd’hui (ou plutôt hier puisque les travaux auraient dus être terminés le 28 décembre dernier), est chargé de proposer au choix : soit les exclusions du champ pour les activités de service public qu’il définit comme relevant des SIG, soit le maintien de certaines obligations si il estime que les “raisons impérieuses” le justifient. L’avis de l’AFCCRE publié le 27 janvier dernier, le projet de loi déposé par le groupe socialiste et rejeté le 26 janvier par l’Assemblée Nationale, et une forte mobilisation du tiers secteur sont les signes d’un désaccord profond sur le fond, mais aussi sur la forme. Car les acteurs et les collectivités territoriales s’accordent pour dénoncer les options choisies par l’Etat, et qui ne permettront pas de maintenir les objectifs de cohésion économique et sociale poursuivis à tous les échelons territoriaux.

Dans ce contexte, force est de constater que seuls les services sociaux se sont emparé de cette question relative à la transposition. Est défini comme SIG tout ce qui concerne les besoins humains de base (santé, logement, éducation, emploi) relevant de la protection sociale, de la cohésion sociale et de la solidarité, les services nécessaires au fonctionnement de la société (fonctions de puissance publique, transports, télécommunications, services postaux, énergie, distribution de l’eau et son assainissement, ramassage et traitement des déchets, pompes funèbres, audiovisuel, culture, formation, services bancaires de base) mais également des services d’aide aux personnes vulnérables (personnes âgées, handicapées, chômeurs, RMistes, sans-abri…).
Les SSIG concernent une partie seulement des SIG, dont la mission vise à répondre aux besoins vitaux de l’être humain à lui permettre de bénéficier de ses droits fondamentaux telles que la dignité et l’intégrité de la personne et d’un niveau élevé de protection sociale.
Les acteurs des services sociaux, notamment avec le collectif SSIG se sont organisés pour peser sur les discussions. Qu’en est-il pour la culture ou pour le sport ? Sans être alarmiste, il semble qu’avec l’échec de la proposition de loi socialiste, il soit totalement irréaliste d’imaginer que le sport ou la culture soient assimilés à des besoins vitaux et pris en compte comme tels en tant que SSIG.

La première application concrète concerne par exemple l’obligation d’une licence d’entrepreneur de spectacles pour les producteurs, diffuseurs et salles de spectacle. Si cette obligation n’est pas remise en cause pour les entreprises installées en France, il n’en est pas de même pour celles qui résident à l’étranger. Avec l’entrée en vigueur de la directive, et dans la mesure où cette véritable “autorisation d’exercer” n’a pas fait l’objet d’une demande de l’Etat français pour qu’elle soit reconnue comme une mesure nécessaire pour des “raisons impérieuses d’intérêt général, d’ordre public ou de santé publique”, il n’est plus nécessaire, dès maintenant, qu’un producteur installé hors de France soit obligé de créer un établissement en France pour lequel il demanderait une licence. C’est la porte ouverte à l’arrivée des producteurs non-nationaux (notamment les anglais, leaders en Europe) sur le marché français, sans qu'ils aient à solliciter les services de “promoteurs” français positionnés en intermédiaire.
Les producteurs désirant organiser une représentation en France pourront se limiter à une déclaration préalable auprès d’un "guichet unique" dont la directive prévoit l'installation.

Voilà qui est assez clair, à défaut d'être réjouissant, sur les perspectives relatives aux modalités de production de spectacles. Quid des obligations de diplômes pour les encadrants professionnels d'activités sportives par exemple ? Dans ce domaine, les enjeux financiers n’étant pas les mêmes que dans les tournées du show business, il est bien possible que la concurrence ne s’exerce que peu, ou à la marge ou dans les zone frontalières. Sur ce point, la problématique risque de glisser sur la légalité du financement des activités, au regard de cette même préoccupation de la commission européenne qui est de ne pas fausser la concurrence sur un secteur vu uniquement comme un marché économique. Mais ceci est encore un autre débat. Il continue...

Quelques liens pour aller plus loin :
- le site europa.eu
- le blog de Thierry Brun de Politis.fr
- le site euractive.fr
- le rapport Jean Bizet
- la position de la CPCA
- la position de l'AFCCRE et ici
- le collectif SSIG

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