mercredi 31 mars 2010

Pas de protection des services sociaux : ils sont bien livrés à la sauvagerie du "marché"

Jeudi 25 mars, les sénateurs ont écarté à leur tour, sans surprise, une proposition de loi socialiste sur les services sociaux d’intérêt général (SIEG) qui poursuivait trois objectifs :
  • exclure l'ensemble des services sociaux du domaine d'application de la directive "services",
  • inscrire la notion de service social dans la loi,
  • tenter de sécuriser la relation entre les pouvoirs publics et les prestataires de services sociaux au regard du régime d’aides communautaire.
Au delà de la question juridique et de forme (l’opposition réclamait un véritable débat tandis que le gouvernement a opté pour une transposition sectorielle de la directive sans passer par une loi-cadre), les débats ont permis de sortir d’une ambiguïté : l’enjeu de la transposition n’était pas d’exclure certains services du champ de la concurrence (car tous les services publics, y compris les services sociaux, sont soumis au droit de la concurrence), mais de savoir quelles sont les activités de service qui ne peuvent être exercées qu'après autorisation des pouvoirs publics, conformément aux critères de la directive.

Reste la question de la révision du paquet Monti-Kroes, le régime d’aide qui, depuis 2005, régit les subventions aux services publics. Les subventions de plus de 200.000 euros (seuil de minimis) doivent faire l’objet d’un "mandatement" express de la collectivité à son prestataire et ne servir qu’à compenser le coût du service public ("juste compensation"). Jugé beaucoup trop lourd et coûteux pour les collectivités, le principe est pourtant en vigueur depuis 2005, même si l'Etat n'a pas montré beaucoup d'entrain pour le faire respecter.
Et ce n'est pas la nouvelle Convention Pluriannuelle d'Objectifs objet de la circulaire du 1er ministre du 18 janvier dernier qui règle totalement la question. Elle se contente de renvoyer la responsabilité aux collectivités locales, comme le note Laurent Ghekiere, du collectif SSIG : "Du point de vue de la contractualisation, la circulaire Fillon sur les "conventions SIEG" est venue clarifier la portée de ce mode de contractualisation. Elle concilie de fait exécution d'obligations de service public et droit d'initiative associatif permettant de neutraliser la notion de commande publique trop souvent considérée comme implicite à toute exécution d'un SIEG. Avec ce dernier maillon manquant, la boîte à outils SIEG des collectivités territoriales est donc aujourd'hui pleinement opérationnelle à défaut de reposer sur une base législative claire, homogène et cohérente".
Rien n'est moins sûr selon Jean Claude Wallach qui note lui, dans un article signé dans Jurisculture ce mois-ci, que la circulaire nourrit une bien belle contradiction lorsqu'elle tente d'associer le "mandat" (terme qui implique pour le moins une volonté d'un mandant) et la "mission d'intérêt général" (là aussi, la mission supposant l'implication d'une instance qui oriente) avec l'initiative associative, seule garant de l'exception à des formes de commandes publiques ou de délégations.
M. Wallach va même beaucoup plus loin lorsqu'il reprend l'explication de texte donné par la circulaire Fillon. Car désormais, (Annexe IV) "le projet [...] doit se rattacher à une politique publique d'intérêt général. Un projet qui ne correspondrait à aucune politique publique ne peut être subventionné". Certes, on peut voir là une dérive possible à la liberté d'initiative associative. Pour nourrir le débat, j'ose avancer plusieurs points. La question ne se posera-t-elle pas uniquement pour les subventions excédant les montants des minimis, et notamment en cas de convention pluriannuelle ? Et puis n'y aurait-il pas une logique, pour l'Etat et les collectivités, à n'apporter des aides publiques que pour des actions reconnues comme relevant d'une action d'intérêt général, et donc faisant l'objet d'une politique publique de soutien pour ces actions (ce qui serait en phase aussi avec la logique d'une compétence officielle de la puissance publique pour le domaine dont relève l'initiative) ? Enfin, le tiers secteur est habitué à fonctionner avec une mixité de ses ressources, dont les origines peuvent-être, certes, les financements publics, mais aussi le marché économique et les recettes non monétaires (notamment mécénat de compétence et bénévolat). La reconnaissance de l'intérêt général, et l'inscription dans les politiques publiques venant souvent en dernier lieu.
Dans ce domaine, le secteur des musiques actuelles sait de quoi il parle !

En tous cas, ce qui est sûr, c'est que l'inaction du gouvernement aurait amené, petit à petit, la plupart des collectivités à renoncer à soutenir des actions associatives par crainte de voir les subventions remises en cause par l'Europe, par le contrôle de légalité ou par le secteur privé lucratif. La logique de l'appel d'offre ou de la mise en délégation de service public systématique était bel et bien en marche. On voit bien aussi qu'en terme de concurrence déloyale, ce sont plutôt les entreprises commerciales qui menacent les structures non lucratives, et ce n'est pas les subventions accordées au Main Square Festival l'été dernier qui nous démontrent le contraire.
Cette circulaire n'est certes pas la panacée ; en l'absence d'une loi cadre, c'est en tous cas une étape indispensable dans la construction de nouvelles relations entre le secteur non lucratif et les pouvoirs publics.
A suivre...


Sur le net :
Localtis.info
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